LA CATHÉDRALE OGIVALE

« Le gothique succède au roman comme la fleur au bouton. » (Auguste Rodin)

L'initiative d'une nouvelle cathédrale plus grande, et surtout avec un chœur plus vaste, revint à Aimeric de la Serre, évêque de Limoges de 1246 à 1272, qui destina sa fortune à cette construction. Ce don considérable, de plus de 27.000 livres, permit de subvenir aux frais des travaux pendant 17 ans. Mais ce grand mécène mourut avant l'ouverture du chantier et ce fut le doyen du chapitre, Hélie de Malemort, qui posa la première pierre, le 1er juin 1273, pendant la vacance du siège épiscopal.

Cette période de construction fut certainement très active, d'autant plus qu'on extrayait le beau granit des carrières de Neuplanchas, paroisse de Saint-Jouvent, à 20 km au Nord de Limoges. En 1290, les premiers fonds étant épuisés, l'évêque Gilbert de Malemort créa de nouvelles ressources pour assurer la continuation des travaux. Son successeur Raynaud de la Porte prorogea de 6 ans la donation des revenus des paroisses vacantes. Ses deux successeurs, Gérard Roger et Hélie de Talleyrand, poursuivirent l'œuvre entreprise, mais les travaux s'arrêtèrent en 1327. A cette date, l'abside, le chœur et son déambulatoire avec les chapelles rayonnantes ainsi que la chapelle du transept Nord étaient achevés et reliés au transept roman.

En 1344, sous l'épiscopat de Gui de Comborn, des ressources nouvelles furent trouvées et le pape limousin Clément VI accorda des indulgences aux fidèles qui aideraient à la construction par leur générosité. La façade et la rose Sud du transept furent élevées, mais la guerre avec les Anglais suspendit les travaux et, en 1370, le Prince Noir mit à feu et à sang la Cité! Après la tourmente, le troisième pape limousin, Grégoire XI, aida aux réparations et ce ne fut qu'en 1468 que le chantier s'ouvrit de nouveau, grâce à la générosité des Consuls de la ville; alors on termina les murs Ouest du transept et l'on édifia les 2 premières travées de la nef, qui furent achevées en 1499.

Le beau portail Saint-Jean qui constitue la face Nord du transept, fut construit et sculpté dans le premier tiers du XVIème s. sous les épiscopats de Philippe de Montmorency et de Villiers de l'Isle-Adam, dont les armoiries figurent sur cette façade à côté de celles du chapitre.

Vers 1537, Jean de Langeac entreprit d'achever la nef, mais surpris par la mort il ne put mener à terme ce travail qui ne s'éleva guère au-dessus des fondations.

Ce n'est qu'en 1847, que Mgr Buissas fit exécuter d'importantes restaurations à l'ensemble de l'édifice et acheva la façade Nord du transept par la galerie supérieure avec son pignon et ses pinacles.

Enfin en 1876, Mgr Duquesnay fit achever la cathédrale. Les 3 dernières travées furent terminées en 1886 avec le narthex qui raccordait la nef au clocher. En 1888 on déplaça le jubé, qui prit place à l'entrée de l'église, ce qui permit de démolir le mur qui depuis la fin du XVème s. fermait la nef avec ses pierres d'attente ; et le 12 août 1888, Mgr Renouard inaugurait ce magnifique vaisseau dans toute sa splendeur svelte et élancée.

LE CLOCHER GOTHIQUE

Le clocher a une histoire indépendante, car sa transformation fut antérieure à la construction de la cathédrale ogivale. Nous avons vu que du clocher roman il ne reste que le porche étroit et les 2 étages qui le surmontent enrobés dans un lourd massif de maçonnerie. Les 4 étages supérieurs furent entrepris en 1242, soit 30 ans avant la mise en œuvre de l'église gothique. Il semble donc qu'à cette époque la partie haute du clocher roman devait être en ruine et nécessiter une réfection, mais, les voûtes de l'église s'appuyant au clocher, on conserva la partie inférieure de celui-ci et sur cette base on édifia un nouveau clocher dans le goût du jour.

Ce nouveau clocher est de style ogival primitif et d'un type bien particulier au Limousin, avec ses tourelles d'angles qu'on retrouve aux clochers de Saint-Michel-des-Lions et de Saint-Pierre-du-Queyroix, dont il fut le modèle.

Le premier étage est sur plan carré comme la base romane, avec 3 hautes baies sur chacune de ses faces; au-dessus la tour passe au plan octogonal. Partant des angles du carré, des tourelles à 8 pans s'élèvent jusqu'à la naissance de l'ancienne flèche; elles ne sont ajourées qu'au dernier étage et se terminaient par des pyramides dont on distingue les bases.

Les faces des étages octogonaux ont chacune une haute fenêtre; au troisième étage elle est coupée par un meneau, et à l'étage supérieur elle est géminée.

Pour supporter cette audacieuse construction, qui s'élève à 62 m du sol et sa flèche qui mesurait 18 m environ, il fallut renforcer la base romane par des massifs intérieurs qui garnissent les angles rentrants du porche; on supprima les passages latéraux, on doubla toutes les arcatures ; ainsi la partie romane gardait toute son élégance avec ses arceaux visibles. Mais en 1372 des menaces d'écrasement de l'angle Nord-Ouest obligèrent à revêtir toute la base du clocher d'un épais mur de pierre pour maintenir la solidité de l'ensemble ; encore resta-t-elle fragile, car en 1431 ce revêtement s'étant largement lézardé, on dut reprendre toute la face méridionale.

En décembre 1443, un violent ouragan endommagea la haute flèche et les clochetons. Le 25 avril 1483, un orage détruisit la flèche de pierre ; on la remplaça par une flèche en bois recouverte de plomb, qui fut à son tour foudroyée le 30 juin 1571 et cette fois incendiée; le feu gagna la charpente de la tour et les 11 cloches qui y étaient fondirent ou se brisèrent dans leur chute. En 1574 le clocher fut restauré, mais la flèche ne fut pas reconstruite et nous n'en voyons plus que l'amorce en retrait de la tour. Malgré sa base disgracieuse et découronné de sa flèche ce beau clocher reste svelte et élancé.

 

cliché et montage Guillaume LAVAUD

 

L'OEUVRE DE JEAN DESCHAMPS

« Les monuments parlent parfois un langage aussi clair que les documents. » (Emile Mâle)

Vers le milieu du XIIIème s. l'art gothique du Nord et de l’Île-de-France pénétra dans le Midi, qui dans l'ensemble resta fidèle à la nef unique, au large vaisseau avec contreforts intérieurs entre les chapelles latérales. On vit successivement s'élever les cathédrales de Clermont-Ferrand, Narbonne, Limoges, Toulouse et Rodez. Des documents, pour les cathédrales de Clermont-Ferrand et de Narbonne nomment le maître-d’œuvre : Jean Deschamps, mais les autres cathédrales portent en elles, d'une manière certaine, la marque du génie de cet architecte.

Né vers 1218, probablement en Picardie, Jean Deschamps avait travaillé sur des chantiers du Nord et aussi avec Pierre de Montreuil à la construction de la Sainte-Chapelle. Il venait après la génération des grands architectes qui élevèrent Chartres, Amiens, Reims, Soissons et Saint-Denis ; aussi trouvons-nous chez ce maître des imitations des cathédrales nordiques à côté de nombreuses originalités et innovations.

A Limoges comme à Clermont-Ferrand mêmes proportions et harmonies : l'élévation intérieure est divisée en deux parties à peu près égales. Mêmes faisceaux de colonnettes montant d'un seul jet jusqu'à la naissance des voûtes; même triforium qui s'intègre aux fenêtres, comme une frise d'ombre sous les lumineuses verrières; mêmes baies un peu réduites et n'emplissant pas toute la largeur de la travée ; même sobriété décorative, car le dur granit du Limousin, comme II lave d'Auvergne, est difficile à tailler.

Les chapelles rayonnantes autour du chœur sont dotées à leur entrée d'une même petite travée droite qui leur donne plus de profondeur. Et, d'ailleurs, en rapprochant les plans de Limoges et de Clermont, établis à la même échelle les 2 chœurs avec leurs chapelles et leurs déambulatoires, se superposent assez exactement! De plus les nervures des croisées d'ogive, à Limoges comme à Clermont, retombent en pénétration dans le mur au-dessus des chapiteaux, ce qui offre une plus grande légèreté et présage déjà l'éclosion du style flamboyant.

C'est aussi à l'extérieur qu'on remarque les mêmes innovations de Jean Deschamps. La galerie du triforium au lieu de pénétrer à travers les piles, selon l'usage, les contourne pour ne pas en réduire la solidité; ainsi voit-on sous les arcs-boutants une série de demi tourelles. Les chapelles sont non pas, comme d'habitude couvertes de toitures, mais d'une spacieuse et large terrasse. Les balustrades qui les couronnent enveloppent les contreforts et forment tout autour de l'église un gracieux balcon continu. Les arcs-boutants sont évidés d'une rangée de légères colonnettes, leurs culées sont allégées d'arcs en tiers-point, et les archivoltes des fenêtres du chevet sont agrémentées d'un très élégant gable à jour.

L'ensemble de la cathédrale de Limoges est d'une justesse de proportions étonnante ; sans qu'elle ait la grandeur des cathédrales du Nord, un sentiment de profondeur et d'élancement se dégage de toutes ses parties. Elle surprend dès l'abord par sa simplicité et sa sobriété, mais en même temps elle attire par l'élégance et la pureté de ses lignes et de ses volumes. Tout ornement superflu a été écarté, tout membre non indispensable à sa stabilité a été évité. Ainsi nous voyons les chapiteaux se réduire à un simple ou double anneau sculpté et nulle part, exception faite pour les travées Nord du transept, on ne rencontre de formerets, ces arcs qui lient la voûte aux murs.

Remarquons que le transept ne produit pas une large coupure dans la perspective de la nef car il est étroit : sa croisée n'est pas sur plan carré comme dans la majorité des cathédrales. Cependant le plan primitif de Jean Deschamps avait dû prévoir, comme à Clermont-Ferrand, la croisée sur plan carré. Nous en trouvons la preuve au pilier gauche, à l'entrée du chœur : au-dessus du chapiteau les deux départs des croisées d'ogive se détachent nettement, ces faux départs de quelques pierres sont en avant de la nervure actuelle. Ce décalage marque bien la fin de la première campagne de construction, et aussi qu'à la reprise des travaux, le transept ayant été élevé sur les bases étroites de l'ancien transept roman, il fallut reprendre une nouvelle courbe des arêtes déjà amorcées. C'est, il semble, le seul repentir notable dans tout l'édifice.

Avec Jean Deschamps, qui implanta l'art gothique dans le Midi, se révèle un maître-d’œuvre de la race des créateurs appartenant à ces grandes générations d'artistes du XIIIème s. qui ne construisirent jamais sans faire faire un progrès à l'architecture.

Michel Pénicaut